6. La racine chamito-sémito-indo-européenne

La famille linguistique chamito-sémitique (ou afro-asiatique) suppose une filiation commune, comme celle du groupe indo-européen, mais cette hypothèse ne réalise pas encore l’unanimité: le vocabulaire comparé ne montrerait que quelques dizaines de racines reconnues communes.

Pour la famille indo-européenne (i.-e.), les études comparatives proposent de définir des racines primitives, sur le modèle de Emile Benveniste (1935), mais qui ne convient pas aux racines à initiale vocalique, malgré le recours aux « laryngales » hypothétiques imaginées il y a un siècle, à la suite de travaux de Saussure : le problème est que ces laryngales n’ont jamais existé, comme le montre « Désinences grammaticales – Théorie des laryngales et théorie de la racine » (2013).

Mais l’égyptien hiéroglyphique (é.-h.), l’arabe et l’hébreu, ont des radicaux commençant par des semi-consonnes, par exemple « 3 » (notation en é.-h. du « alef » sémitique : occlusive glottale, ou « coup de glotte »). Cette consonne, sans sonorité particulière, ne représente que l’ouverture de la gorge prête à émettre la voyelle qu’elle porte, et se transpose donc, en sémitique, en une initiale vocalique : ainsi, Héb. 3m (éme), Ar. 3mm (oumm) = « mère ». L’autre semi-consonne « j » (« y ») se remarque dans Héb. jwm (yome), Ar. ywm (yawm) = « jour ». Mais quel tenant de la culture linguistique actuelle, marquée par une spécialisation extrême, pourrait admettre que le premier radical puisse également exister (en l’état ou inversé), non seulement en chamitique (Egyp. – mwt = « mère », avec suffixe), mais aussi en i.-e. (Gr. μαια, Lat. amma, Gr. μαμμη, Lat. mater), et le second en grec (Gr. ημαρ – ηματοs = « jour ») ? Ces rapprochements paraissent tellement déraisonnables que les dictionnaires étymologiques actuels préfèrent n’en dire mot.

Or, la recherche de l’origine du nom des nombres (considérés « immotivés », c’est-à-dire ne relevant pas de racines intelligibles) a conduit, en 1998, à l’étude du lexique é.-h., aboutissant à cette conclusion : il apparaît que la totalité de ce lexique (construite avec ses 24 phonèmes propres) procède, soit d’éléments binaires, appelés « étymons », associant le phonème « 3 » (de double signification) et l’un des 23 autres phonèmes (dotés d’un sens spécifique, en dehors des nasales « m » et « n »), soit de l’assemblage de deux ou trois « étymons », mais alors de sens connexe.

L’origine préhistorique de cette « motivation phonémique » et de cette construction lexicale se retrouve aussi bien en sémitique qu’en i.-e. : la racine chamito-sémito-indo-européenne justifie
. l’inversion possible du premier et du second étymons sans modification de sens du radical
. la racine triconsonantique sémitique, inexpliquée (« norme » de trois étymons avec exceptions)
. l’alternance « thème I / thème II » du modèle i.-e. de Benveniste (inversion du second étymon)
. l’existence en i.-e. du même phonème préhistorique qui a généré le « ayin » chamito-sémitique
. les noms des nombres (ici, l’expression de « 4 », et de « 9 » de même contenu sémantique)
. les étymons « j3 » (« y3 ») et « w3 » dans le pluriel interne arabe, ou en préfixation des radicaux chamito-sémitiques et i.-e. (expliquant les « prothèses »), ou même en infixation (seulement des premiers, montrant la scission des locuteurs postérieure à la formation de leur racine commune).

L’enchaînement des étymons a laissé, dans les radicaux, des traces encore visibles qui se traduisent, en i.-e., par voyelle longue, infixe nasal ou géminée (et accent circonflexe en grec), et, en sémitique, par le « hamza » interne arabe (attaque vocalique, arrêt du son), révélant le « 3 » initial d’un étymon enchaîné; en tête de radical, ce signe, valant l’aspiration aléatoire du grec, note, comme elle, une accentuation particulière de « 3 » du premier étymon (initiale vocalique).

Le Principe général de la création lexicale constitue le fondement du Dictionnaire de la création lexicale (DCL), qui témoigne ainsi de la réalité de la racine chamito-sémito-indo-européenne.

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