3. Résumé : Du nom des nombres à la motivation phonémique et à la création lexicale

Les termes désignant les nombres sont considérés comme immotivés, c’est-à-dire ne se rattachant pas à des racines intelligibles. Mais, en indo-européen, l’étude de plusieurs disciplines, rapprochées et croisées depuis les années 1970 (linguistique, mythologie, étude des calendriers et rituels antiques), assure la cohérence de multiples constatations, en supposant l’existence d’un mythe préhistorique enchaînant cinq temps : métaphore du cycle annuel nourricier de la sève dans la végétation, dont l’expression des cinq étapes donne naissance au nom des nombres (s’enchaînant de 1 à 5, puis de 6 à 10), et symbolise ainsi:

1- repos annuel de la sève, qui semble faible, faire défaut et être en peine (même sens pour 6)
2- départ de la sève, pour s’élancer et jaillir dans la végétation (idem 7)
3- conception, fécondation des fruits (idem 8)
4- naissance et croissance des fruits (idem 9)
5- poursuite des fruits, pour la cueillette ardemment désirée (idem 10).

Une peinture rupestre préhistorique du Tassili algérien, reproduite dans « La motivation phonémique à l’origine du langage », évoque ce mythe. Publiée en 2003, mais restée alors énigmatique, cette fresque montre cinq épisodes, qui figurent constamment une jeune fille (personnifiant la sève), en relation avec des seaux (de sève), et toujours indiquée par quatre petits points au-dessus de la tête : en effet, le quatrième épisode (certainement jugé le plus important par les artistes) représente, par métaphore, un accouchement, entre le troisième (copulation) et le cinquième (poursuite des fruits pour la cueillette).

L’hypothèse d’une diffusion plus large de ce mythe a conduit, en 1998, à rechercher son existence dans l’égyptien hiéroglyphique (é.-h.). L’étude du lexique de cette langue chamitique a permis de constater, non seulement la confirmation de ce mythe, mais aussi la structure très particulière des termes lexicaux. Certaines propriétés des radicaux (la plupart de seulement deux ou trois consonnes, et parfois réversibles, modulables et de sens multiples) incitent à mettre en doute le postulat saussurien de l’arbitraire du signe, en admettant que les consonnes é.-h. (de 5000 ans) pourraient dériver de phonèmes antérieurs, originellement dotés d’un contenu sémantique spécifique (d’où la notion de « motivation phonémique »).

Les radicaux sont composés de un à trois éléments (« étymons ») de deux consonnes signifiantes, dont l’une est toujours la semi-consonne « 3 » (alef sémitique, occlusive glottale), seule de double signification, souvent occultée par facilité : le sens des étymons (qui détermine celui du radical qu’ils forment) résulte de l’interaction de l’un des deux sens de « 3 », et du contenu sémantique de l’autre consonne de l’étymon.

Avec des outils appropriés (définition de « secteurs sémantiques », recherche des lois de correspondance phonétique établissant les « matrices de transposition consonantique » pour chaque langue), ce système de construction se révèle applicable non seulement à d’autres langues de la famille chamito-sémitique (hébreu, arabe, avec une justification de la racine triconsonantique, ou trilitère, inexpliquée, et de ses exceptions), mais aussi à l’indo-européen (origine de certaines particularités des radicaux, ou même des désinences grammaticales grecques et latines : étymons signifiants), ainsi qu’à d’autres familles de langues. Paraissant, jusqu’à présent, universel, le Principe général de la création lexicale retrouve le fondement de la racine chamito-sémito-indo-européenne, et génère le Dictionnaire de la création lexicale.

La mise en évidence du mythe entraîne des conséquences directes (enchaînement, nom et forme des 22 caractères alphabétiques phéniciens), ou indirectes (sens de termes et symboles traditionnels, ou de questions mythologiques). Mais la racine chamito-sémito-indo-européenne explique aussi la construction du nom des nombres (ainsi, le lien entre Lat. novus = « nouveau, qui vient de naître » et Lat. novem = « 9 », de rang 4), ou la place de Junon, déesse de l’enfantement, pourtant épouse de Jupiter, au seulement quatrième rang de l’ancien calendrier romain (Junius = « juin »), ou encore la forme du quatrième caractère phénicien, reprise par le latin (D, d tardif) ou le grec (Δ, δ) : un « sein » (et son téton dans les minuscules).