4. Le principe général de la création lexicale

Les résultats exposés sont l’aboutissement de travaux effectués, depuis les années 1970, sur les langues indo-européennes (i.-e.), pour la recherche, dans ces langues, de la signification du nom des nombres : en effet, les termes désignant les nombres sont actuellement considérés comme immotivés, c’est-à-dire ne se rattachant pas à des racines intelligibles.

Ces travaux, croisés avec des indices se rapportant à la mythologie, aux rituels religieux ou aux calendriers antiques, ont conduit à supposer un mythe préhistorique déroulant les nombres de « 1 » à « 5 » (et renouvelé de « 6 » à « 10 »).

En vue de tester l’hypothèse d’une origine préhistorique très lointaine de ce mythe, qui aurait aussi été partagé avec d’autres groupes de langues, et où l’on pourrait donc éventuellement retrouver ses traces, l’étude de l’égyptien hiéroglyphique (é.-h.) a alors été engagée en 1998.

Depuis cette date,

  • ce mythe semble avoir reçu une confirmation remarquable par la peinture rupestre en 5 épisodes du Tassili algérien, publiée par E. Anati en 2003 (« Aux origines de l’Art » – Fayard), restée énigmatique dans ce livre, mais interprétée dans « La Motivation phonémique à l’origine du langage »
  • la comparaison systématique de l’expression des nombres en é.-h. avec le vocabulaire courant de cette langue a conduit, de manière fortuite, aux résultats qui vont être exposés sur le principe de la construction du lexique é.-h.
  • enfin, il est apparu que ce principe de création lexicale pouvait également s’appliquer, non seulement aux langues sémitiques, considérées comme parentes de l’é.-h. dans le groupe chamito-sémitique, mais aussi aux langues i.-e., et à d’autres groupes de langues.

Dans ce contexte, l’é.-h. n’est évidemment pas une « langue-mère » : d’ailleurs, les parentés strictes observées entre son lexique et celui des autres langues – même sémitiques – sont assez rares, ce qui, dans une première approximation, pourrait accréditer le postulat saussurien de l’arbitraire du signe.

Mais l’étude approfondie de la totalité de son vocabulaire met en évidence le mode de construction de ses termes lexicaux, dont le sens de tous les radicaux s’explique par la motivation phonémique des consonnes constituantes. Ces consonnes apparaissent elles- mêmes comme issues de phonèmes antérieurs signifiants, ce qui conduit à la remise en cause du postulat saussurien.

En raison des spécificités de son système millénaire d’écriture (très constant et fidèle, mais lourd et exigeant, au point qu’il n’a pu résister au système alphabétique de type phénicien, beaucoup plus efficace, mais aussi trop réducteur et simplificateur), l’é.-h. apparaît ainsi comme un témoin privilégié de la transmission du principe général de la création lexicale, qui s’avère à la fois extrêmement lointain, et universel.

La formation du lexique é.-h. se caractérise par plusieurs points essentiels :

  • existence de 23 consonnes (ou plutôt 24, si l’on différencie « s » et « z »), parmi lesquelles trois sont des semi-consonnes (ou semi-voyelles) : « 3 » (« alef » sémitique, occlusive glottale, ou « coup de glotte »), « j » (palatale), « w » (labiale)
  • chacun de ces phonèmes est doté d’un contenu sémantique propre (à l’exception des nasales « m » et « n ») : il s’agit bien là d’une « motivation phonémique », et ces consonnes apparaissent comme les survivances de phonèmes préhistoriques signifiants
  • le phonème « 3 » joue un rôle absolument essentiel et fondamental, car
  • il est le seul à disposer d’une double signification : « ôter, déchirer », et « tenir »
  • des « modules » privilégiés biconsonantiques sont formés par son association avec chacune des 23 autres consonnes, pour créer ainsi 46 paires toutes signifiantes (avec les inverses, de même sens), qui seront appelées « étymons »
  • les radicaux de la totalité du lexique é.-h. sont constitués, soit par « 3 » seul, soit par des étymons biconsonantiques avec « 3 », soit par assemblage de deux ou plusieurs étymons, de sens analogue ou connexe, qui confèrent précisément au radical le sens qui lui est connu.

Il apparaît que ce mode de construction explique, non seulement le lexique é.-h., mais aussi, comme il a déjà été dit, les lexiques sémitiques et i.-e. Il propose des réponses à des questions non encore résolues, telles que la racine triconsonantique ou trilitère sémitique et ses exceptions, ou la formation du pluriel interne en arabe, et, en i.-e., par exemple, l’infixation nasale, les géminées, la préfixation en « s-« , et même les désinences grammaticales (verbales et nominales) que les grammaires traditionnelles grecque et latine enseignent de manière mécanique, sans pouvoir expliquer.

Mais il structure aussi le lexique d’autres langues (y compris les langues tonales asiatiques, présentant la caractéristique commune d’être à base monosyllabique; les étymons y apparaissent clairement, et les quatre tons du chinois mandarin, par exemple, ne font que multiplier leur faculté de création lexicale).

Le principe de la création lexicale exposé se révèle donc général et universel.

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